Objet Littéraire Non Identifié
Les Envahisseurs.
Ces êtres étranges venus
d'ailleurs...
David Vincent les a vus...
Maintenant, il doit convaincre un monde
incrédule que le cauchemar a déjà commencé...
Les plus de 20 ans – OK, de 30 ans -
se souviennent sans doute de cette accroche pour une des séries les
plus flippantes de la télévision diffusée et rediffusée dans les
années 70 et 80 à la télévision française.
Créée à la fin des années 60 par
Larry Cohen, elle narre la lutte solitaire d'un architecte WASP
(blanc, anglo-saxon et protestant) joué par Roy Thinnes contre des
êtres venus d'ailleurs pour envahir la Terre – en commençant,
comme il se doit, par les États-Unis d'Amérique (pays de la
démocratie, du libre-marché, de l'initiative privée et de toutes
sortes de conneries du même tonneau.)
Mais comment les démasquer ? Ils
ont l'apparence humaine malgré de subtiles différences :
absence de cœur ou de sang, raideur de l'auriculaire et détestable
manie de disparaître dans une lueur rouge lorsqu'ils meurent. En
outre, leurs armes simulent la mort naturelle de leurs victimes
ou désintègrent la matière, ne laissant aucune trace à part une
vague traînée de suie. Ils peuvent aussi radicalement laver
l'esprit de tout témoin gênant.
Vincent ne peut donc jamais montrer des
preuves tangibles de la présence des Envahisseurs aux autorités et
passe à chaque fois pour un fou ou un excentrique avide de
publicité. Sauf aux yeux d'une ou deux personnes par épisode qui
auront vu les extra-terrestres mais ne seront pas davantage crues, ce
qui risque de rendre très longue la diffusion de l'information.
La série reprend la recette du
Fugitif : chaque épisode se déroule dans une partie
différentes des États-Unis où se sont produits d'étranges
phénomènes, incompréhensibles sauf si on les relie aux
extra-terrestres. Vincent arrive pour enquêter, se heurte à
l'incrédulité des autorités (cf. l'accroche) mais convainc les
témoins des manifestations et... les extra-terrestres infiltrés,
bien placés pour savoir qu'il dit vrai. Le récit est découpé en
quatre parties, précédées d'une scène d'ouverture pré-générique
qui montre un événement insolite et dramatique, et suivies d'un
épilogue qui voit Vincent repartir après avoir déjoué les plans
des Envahisseurs et gagné une ou deux personnes à sa cause (tiens
bon David, plus que 250 millions.)
Danger Non Identifié est une
novélisation de la série signée Keith Laumer. La traduction est de
Jean-Claude Deret. Le roman est paru chez Hachette en 1972 dans la
collection Point Rouge. La couverture, curieusement, ne reprend pas
le visuel de la série qui a pourtant déjà été diffusée
partiellement sur l'ORTF en 1969 (1) : il s'agit d'un dessin aux
couleurs vives qui illustre un passage du récit. Les éléments
graphiques sont donc, eux-aussi, non identifiables.
Elle le mène dans une petite ville,
trois mois plus tard, où se tient une conférence de l'ISIS
(Institut de Surveillance Interplanétaire des Soucoupes), une
concentration d'ufologues (2) illuminés où il rencontre Thrall, un
homme qui semble poursuivre le même but que lui. La conférence vire
au tragique. Un homme est tué. Vincent croit reconnaître un chef
des envahisseurs dans l'assistance mais il lui échappe. Thrall lui
propose de venir chez lui pour lui montrer les preuves qu'il a
accumulé de la présence des extra-terrestres. Il le conduit dans
une grande maison délabrée qui s'avère être un piège :
Thrall est un paranoïaque qui le prend pour un Envahisseur. Vincent
doit échapper aux chausses-trappes de la maison et aux
extra-terrestres qui l'ont traqué et rejoint. La maison est
dévastée.
Puis Vincent se rend à Springfield
(!), la ville ou il a fait ses études et rencontre le professeur
Skinner (!!) qu'il interroge à propos d'une pluie imminente de
météorites au dessus du désert. Il subodore qu'elle puisse servir
de camouflage pour l'atterrissage d'un astronef. Il ne convainc pas
les autorités militaires, en revanche, un sous-officier, témoin de
l'atterrissage d'une capsule extra-terrestre accepte de lui prêter
main-forte. Les deux hommes volent un half-track, se rendent sur le
site où devrait se poser le vaisseau des Envahisseurs mais
l'affaire tourne mal. Le sergent est tué. Vincent tire sur le
vaisseau mais ne parvient pas à l'endommager. Il ne doit son salut
qu'à l'intervention de blindés lancés à leurs trousses. Le
vaisseau est détruit mais l'armée veut classer l'affaire. Vincent
repart dans sa croisade solitaire.
En dehors du nom du héros, de la trame
(le combat solitaire d'un homme contre des extra-terrestres
d'apparence humaine infiltrés sur Terre) et d'une certaine
atmosphère paranoïaque, on ne reconnaît pas vraiment l'univers de
la série : le visage des Envahisseurs ressemble à un masque
lisse, leur yeux sont jaunes, ils ne se désintègrent pas en
mourant, ils se régénèrent en reconstituant leurs membres
manquant, ils communiquent par sifflement stridents et on les
aperçoit sous leur forme initiale (une masse de chair se mouvant à
l'aide de tentacules rabougris). Dans la série, on ne les voit
jamais ainsi sauf dans deux épisodes : Genèse (saison 1) ou un
des extra-terrestre régresse à son état primal – son aspect est
tellement repoussant qu'un policier devient fou en l'apercevant –
et L'Ennemi (saison 2) où un Envahisseur, survivant au crash de son
appareil, commence lui aussi à dégénérer. Un bref instant, on
aperçoit son visage dans la pénombre avant qu'il meure dans un état
intermédiaire entre l'humain et l'extra-terrestre. (3) Le véritable
aspect des extra-terrestres n'est donc jamais dévoilé. D'une part,
pour des raisons techniques (4) et budgétaires. Enfin, le roman narre
un premier contact entre le héros et les extra-terrestres très
différent de celui qui est présenté dans l'ouverture des épisodes
(Vincent assiste à l'atterrissage d'une soucoupe volante.)
Le style du roman est sans fioriture
même si le vocabulaire est plutôt riche. L'auteur fait avancer
l'histoire en enchaînant les péripéties jusqu'au final. Un récit
efficace mais sans grande originalité et n'évitant pas d'énoncer
quelques banalités : « Quand on voit un gars en uniforme,
on se figure qu'il est né avec. Mais en dessous, il y a un
civil... » Ce qui surprend, en revanche, c'est la liberté
prise avec le cahier des charges (5) : les extra-terrestres
diffèrent beaucoup de ceux qui apparaissent dans la série et
certains passages introduisent des éléments horrifiques : les corps
sont brisés, empalés, lorsqu'ils se régénèrent, de nouveaux
membres poussent pour remplacer ceux qui ont été amputés mais
parfois la régénération aboutit à la difformité si les blessures
sont trop graves... On n'est pas loin de l'horreur organique,
dérangeante, telle qu'elle se manifeste à partir des années 70
dans les films de David Cronenberg (Chromosome 3, Scanners,
Videodrome, La Mouche...) ou de Larry Cohen (Le Monstre est vivant,
Meurtres sous Contrôle) ou même d'Alien de Ridley Scott : le
corps humains est altéré et subit d'horribles mutations ou
mutilations. Le roman se singularise donc par rapport à la série
par sa violence, impossible à montrer à la télévision à
l'époque.
Donc la lecture, si elle permet de
prolonger le plaisir éprouvé à la vision de la série, nous emmène
cependant vers quelque chose d'autre. Tout comme le téléfilm de
1995 lorsqu'il prétend prolonger la série originelle avec un
passage de relais de David Vincent à Nolan Wood (Scott Bakula,
vedette de la série Code Quantum) mais en montrant des Envahisseurs
très différents (6).
Keith Laumer, Danger Non Identifié, Hachette, Paris, 1972
- Il faut attendre 1986 pour que TF1, privatisée, diffuse l'intégralité de la série pendant l'été, les épisodes inédits étant doublés dans la journée pour une présentation en fin de programme. C'est le seul aspect positif de la privatisation.
- Spécialistes des Objets Volants Non Identifiés. (OVNI)
- Dans cet épisode, l'Envahisseur est joué par Richard Anderson, le futur Oscar Goldman des séries L'Homme qui valait trois milliards et Super-Jaimie.
- Larry Cohen souhaitait qu'un œil apparaisse par intermittence dans la paume de la main des extra-terrestres mais l'effet était compliqué et peu réussi. On opta pour la raideur de l’auriculaire, moins coûteuse.
- Le romancier Thomas Disch signe en 1969 une adaptation de la série Le Prisonnier qui diffère beaucoup de sa version télévisuelle, offrant d'ailleurs une fin différente (et plus cohérente?)
- et les montre tout court, ce qui souligne a contrario l'avantage d'en révéler le moins possible sur la véritable apparence des extra-terrestres sous peine de les banaliser. Le Retour des Envahisseurs (1995) de Paul Shapiro lorgne alors sur la série qui a régénéré le genre science-fiction à la télévision, Aux Frontières du Réel (X-Files).
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