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Nouvelle produite pour le concours "Mots passants" 2010.
Sujet : "Aux frais de la Princesse".
Retoqué par le jury de pré-sélection qui préférait éviter les sujets trop "politiques".
Ou qui a peut-être pris certains passages au premier degré ?
Bien entendu, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé...
Sujet : "Aux frais de la Princesse".
Retoqué par le jury de pré-sélection qui préférait éviter les sujets trop "politiques".
Ou qui a peut-être pris certains passages au premier degré ?
Bien entendu, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé...
NOBLESSE OBLIGE.
Nicolas ne payait jamais rien de sa poche. Il n'avait d'ailleurs jamais rien payé de sa poche. Plus qu'un principe, c'était une règle de vie. Issu d'une famille de vieille noblesse balkanique, déjà ruinée au moment de la guerre et de l'invasion rouge qui l'avait suivie, il devait sa survie à la stricte observance de cette règle : ne jamais rien payer... En tout cas, pas lorsqu'un autre pouvait le faire à sa place. Il vivait donc souvent « aux frais de la princesse » comme on dit. Il s'y était toujours tenu, et ça ne lui avait pas si mal réussi, il fallait bien l'admettre.
En revanche, il n'était pas économe de sa personne. Toujours présent, toujours disponible... pour ceux qui pouvaient servir ses ambitions. Sa diligence, son caractère entreprenant avaient sus le faire apprécier dans les milieux qui comptent. Son charme slave et son bagout avaient fait le reste. Et du bagout, il en possédait. A foison. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il s'était dirigé vers le métier d'avocat. Non pas avocat au pénal : avocat d'affaires. Plus discret, moins gratifiant, mais ô combien plus rémunérateur. Et plus enrichissant. En contacts humains. En amitiés. Des amitiés qui pouvaient devenir d'utiles soutiens. Nicolas avait ainsi constitué son réseau.
Parmi les relations qui comptaient – et Nicolas savait compter – il y avait Le Vieux. Le Vieux. Ça, c'était un personnage ! Sa faconde. Son air faussement bonasse qui savait si bien envelopper sa rouerie. Un briscard de la première heure, Le Vieux. Assurément pas le singe à qui on aurait appris à faire des grimaces. Pas depuis le temps qu'il bourlinguait dans la politique. Il avait quand même connu deux républiques, Le Vieux, et des gouvernements à la pelle, et même accepté quelques maroquins à l'occasion... Et toujours là. Dans sa petite mairie cossue. Tout du moins jusqu'à ce que Nicolas l'en déloge.
Le Vieux était complètement tombé sous le charme de Nicolas. Il l'avait pris sous son aile. Son aile de vieux singe. Et il avait entrepris de le dégrossir. C'est parfois dur de se faire accepter dans certains milieux lorsqu'on n'est pas du sérail, lorsqu'on a pas fait les mêmes écoles... Le Vieux lui avait mis le pied à l'étrier, il l'avait adoubé, et Nicolas s'était fait son trou au sein du Parti. Toujours protégé par Le Vieux. Toujours dans son ombre. Une ombre qui finit par devenir pesante pour un jeune homme très ambitieux...
En Rastignac prudent, Nicolas avait compris qu'il ne conquerrait pas Paris en un seul coup. Il s'attaqua donc d'abord à la banlieue. Pas la banlieue à casquette, bétonnée et prolétarisée, non, celle-ci n'avait que peu d'intérêt... Plutôt la banlieue chic. Cossue. Question de standing. Celle-là même où Le Vieux était implanté. Nicolas avait déjà un pied dans la place, il lui suffisait juste d'attendre son heure. Et l'occasion se présenta. Une mise en examen du Vieux par un jeune juge pointilleux l'empêcha de briguer un nouveau mandat à la mairie. Le prête-nom qu'il avait choisi, délibérément terne, fut éclipsé par l'aura solaire de Nicolas qui posa sa candidature et battit campagne tambour battant, avec une redoutable efficacité, séduisant les rombières à caniches emperlousées, les débutantes sentimentales, et les héritières romantiques avec une égale décontraction. Dans ce fief acquis au Vieux depuis des lustres, il passa pour son brillant Dauphin, et les résultats de l'élection consacrèrent un succès sans surprise. Nicolas fut intronisé hors la présence de son mentor, devenu caduque désormais. Le singe était tombé de l'arbre. Difficile de savoir ce que celui-ci ressentit. Une chose paraissait cependant peu contestable, c'est qu'il avait forcément dû reconnaître que son disciple avait bien appris. Il dut certainement admettre en son for intérieur que c'était « bien joué » et avait probablement ponctué sa remarque d'un « Peuchère » très provençal. Nicolas avait donc gravi la première marche de son irrésistible ascension vers le succès.
Dans sa bonne mairie, Nicolas était comme un seigneur en son fief, autorité bienveillante et attentive aux doléances de sa généreuse clientèle électorale. Il côtoyait les capitaines d'industries, les gros actionnaires, les ci-devants prestigieusement titrés et richissimes, les vedettes du C.A.C. 40, des médias et du showbiz, qui avaient élu résidence en sa commune et auxquels il rendait de menus services à l'occasion. Il menait grand train et mangeait rarement chez lui les dimanches, dînant aux frais de ses contribuables ou de ses contributeurs. Il se régalait aussi à célébrer de gros mariages sponsorisés au terme desquels il embrassait la mariée tandis que le marié lorgnait déjà sur la dame d'honneur et que l'avocat de la mariée évaluait quant à lui ce qu'allait rapporter le divorce...
C'est lors d'une de ces cérémonies que Nicolas rencontra sa première épouse : le Gros, le futur cocu, un présentateur vedette de la télé, avait tenu à ce que ce soit Nicolas en personne qui célèbre son union avec la Première. Autant dire qu'il avait lui même tressé la corde pour se pendre. Sûrement pas la corde au cou qu'il escomptait mais tant pis. Le mariage fut célébré. Le divorce consommé. Le tout à ses frais. La Première épousa ensuite Nicolas qui s'empressa de lui faire deux rejetons. La descendance était ainsi assurée et l'héritage pourrait être transmis. C'étaient deux garçons, ainsi, le nom ne se perdrait pas.
Désormais, au sein de la Grande Famille du Parti, Nicolas s'était fait un nom. Il était le tombeur du Vieux – et de ses dames. Bien sûr, il n'était toujours pas du sérail et les apparatchiks le lui faisaient sentir. Les pires n'étant pas les énarques issus des bonnes familles mais bien les autres, les jeunes loups de sa génération, d'extraction modeste comme lui. L'Arménien par exemple. Sur bien des points ils se ressemblaient, Nicolas et lui. Lui non plus ne s'empressait pas de sortir son portefeuille pour payer le café, attendant qu'un plus rapide se propose pour régler l'addition. Et ça ne manquait jamais. Faut dire, les Arméniens, ils ont ça dans le sang : ils achètent aux Turcs pour revendre aux Russes et ils arrivent quand même à faire du bénéfice ! Et à peine ils ont perdu leur accent métèque qu'ils donnent des leçons de patriotisme à tout le monde. Et ça vit sans vergogne aux crochets des autres, « aux frais de la princesse » ! Voici un triste échantillon des pensées peu charitables que pouvait nourrir Nicolas vis à vis de ses rivaux. Même si on se répétait que le Parti était une grande famille, ça n'empêchait ni les jalousies, ni ressentiments, ni les règlements de compte... Après tout, les Atrides aussi, c'était une grande famille.
Au sein de la famille, Nicolas s'était trouvé un nouveau parrain en la personne du Goitreux. Un Turc. Une alliance de revers contre-nature, mais Nicolas était prêt à faire une entorse à la tradition anté-murale pour faciliter son ascension. Mal lui en prit : le pur sang persan sur lequel il avait misé s'avéra être un bourrin de dernière bourre ! Et Le Grand Chef du Parti, contre lequel Le Goitreux avait tenté un putsch malheureux, lui en tint rancune. Le Goitreux avait entraîné Nicolas dans son sillage et dans sa tentative de putsch, il l'entraîna dans sa disgrâce. Pour une fois, Nicolas partageait l'addition. Et ce n'était pas à son goût.
Il dut ramer, et ramer beaucoup, pour se faire pardonner et revenir en grâce. Une grâce accordée du bout des lèvres. Mais Nicolas sut se refaire une santé et asseoir sa popularité parmi les militants. Il s'exprimait bien, il passait bien à la télé, il allait au contact, et ça plaisait. La preuve. Ils lui payaient tous le coup. Si bien que lorsque le Dauphin du Grand Chef du Parti se prit les pieds dans le tapis, et dans une réforme qu'il avait voulu défendre vent debout avant que la bourrasque ne l'emporte, il ne resta plus que Nicolas comme alternative évidente. Au grand dam du Grand Chef du Parti.
Vint le Grand Soir qui consacra son succès. Sa Victoire ! Nicolas avait su en effet aussi bien triompher de ses adversaires à l'intérieur du Parti qu'à l'extérieur. Il n'avait fait qu'une bouchée de la dinde qui s'interposait entre lui et la Fonction Suprême, et il avait encore de l'appétit. Pas au point cependant de descendre partager les moules-frittes en compagnie des militants, chauffés à blanc par les goualantes de quelques has been de la chanson ralliés à lui parce qu'il leur avait épargné un contrôle fiscal. Non, c'était dans un restaurant réputé et huppé qu'il fut invité à célébrer sa victoire en compagnie du gratin. La Première l'y accompagna en traînant les pieds. Ce n'était déjà plus ça entre-eux. Nicolas rencontra alors sa Princesse.
Elle était la fille cadette d'une famille régnante de principauté de carte postale. Le genre de petit paradis glamour et fiscal dont les têtes couronnées fascinent la presse pipole et Stéphane Bern. De nature rebelle, la jeune demoiselle avait tenté de briser son image de poupée en crinoline en se lançant dans la chanson puis dans la mode, avant de se replier prudemment sur ses fondamentaux devant la débâcle artistique et financière. Durant tout le repas, elle ne décrocha pas Nicolas du regard. Lui, conscient de ses effets, laissait le charme opérer, séduisant l'assemblée par ses bons mots et ses brillants discours émaillés de remarques perfides envers ses ennemis. Les convives étaient sous le charme de ce Tony Blair à la française, conjuguant l'éloquence, la décontraction et l'absence de complexe. Tous les convives, sauf la Première.
Elle lui fit sa grande scène en privé. C'était la rupture. Nicolas se consola comme il put... Dans les bras de la Princesse. Une liaison aussi torride que discrète. Il exposait sa vie privée pour la galerie, sur les yachts des copains, mais il veillait en même temps à l'embargo sur sa vie secrète. Quelques patrons de presse – qui n'étaient pas de ses amis - furent rapidement découragés de trop gratter le verni. Des photos, ils en auraient à foison sur les sujets que Nicolas choisirait.
Quelque temps plus tard, le divorce fut prononcé. La Première partie, la Princesse espérait son tour. Elle l'espéra en vain. Nicolas jeta son dévolu sur une autre chanteuse aphone. Elle l'apprit – ô ignominie – en même temps que la roture, dans la presse, lors d'un scoop fabriqué dans un parc d'attractions terriblement vulgaire. Là, au milieu des princesses et châteaux de carton-pâte, Nicolas, jouant la surprise, feignit d'être pris en flagrant délit de délassement en compagnie de sa future promise. La pilule était dure à avaler. Et la Princesse en conçut un dépit souverain.
Le dîner d'Adieu tourna à l'aigre. Nicolas avait pourtant mis les petits plats dans les grands, tapant abondamment dans la caisse réservée aux frais de représentation. Rien n'y fit, ni les fleurs, ni les coûteux présents, ni le somptueux repas, ni les vins fins ne surent éteindre le sentiment d'avoir été bafouée. Nicolas se fit une raison, la Princesse ne lui pardonnerait pas. N'importe. Leur liaison était terminée et il lui recommanda fermement la discrétion. Son intérêt à elle aussi était d'éviter le scandale. Après tout, les ponts de la capitale étaient très gourmands en vie de princesses...
Cette menace voilée sembla porter ses fruits. Nicolas n'eut plus d'autres échos de la Princesse que par la presse de caniveau qui s'attachait aux pas des vedettes... Et il avait bien d'autres chats à fouetter, payant généreusement de sa personne et multipliant les apparitions publiques aussi bien dans les médias que sur le terrain. L'abondance promise au Peuple n'était pas au rendez-vous, et le train de vie dispendieux dont il faisait preuve, lui et les gens de son milieu, souvent avec l'argent du contribuable, passait mal. Son charme opérait moins. Seule solution, une communication efficace. Il était partout, là où on souffrait. Enfin, juste à côté. Derrière un cordon du service d'ordre. Le contact direct ne lui réussissait plus aussi bien qu'avant. Mais il avait toujours sa rhétorique, son talent d'orateur, ses discours enflammés qui lui permettaient de s'en tirer sans trop de casse. Sauf une fois.
Pendant un de ses discours justement. Son attention fut alertée par la tache. Une petite tache rouge, sur son revers, comme un point lumineux. Il était debout à la tribune et vit la tache apparaître, et se promener le long de son col, puis sur sa poitrine, vers son cœur. Avant de fleurir. Comme une rose écarlate. Avec des pétales sanglants. Il s'effondra.
Foudroyé.
La Princesse bafouée s'était mise en frais. Noblesse oblige : pour faire payer l'indignité que le parvenu lui avait fait subir, elle n'avait pas regardé à la dépense. Les services des professionnels sont très coûteux. Celui-là n'avait pas usurpé sa réputation. Il faisait mouche à chaque coup. Quel que soit le dispositif de sécurité.
Nicolas était mort comme il avait vécu. Aux frais de la Princesse.
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